Construction de la notion de territoire dans le nouveau programme de première 2003-2004 I. Place de la notion dans le programme ; La notion de territoire est centrale dans le nouveau programme de géographie de première. Dans son préambule, le programme indique « l?étude de l ?Europe et de la France est l?occasion de faire réfléchir les élèves sur la notion de territoire » et de rappeler plus loin qu?il faut « insister sur les effets sur les territoires des interventions des différentes interventions des nombreux acteurs spatiaux, publics ou privés ». Les études de cas portent sur « des problèmes d?aménagement du territoire à l?échelle locale et sur une région ». La définition du territoire est large puisque le programme évoque en exemples « l?Etat , la région, l?agglomération, les « pays » ». II. Définition Avant de définir le territoire, il faut le différencier de l?espace géographique. L?espace géographique peut être défini comme « l?ensemble des lieux et de leurs relations »1 ; il est le produit des sociétés humaines et forcément en relation avec d?autres espaces. Il est antérieur au territoire Le territoire est un espace approprié support d?une identité collective. Pour G.di Meo le territoire « témoigne d?une appropriation à la fois économique, idéologique et politique de l?espace par des groupes qui se donnent une représentation particulière d?eux-mêmes, de leur histoire, de leur singularité »2 mais souligne aussi que la géographie sociale s?intéresse aussi aux « territorialités relationnelles, multidimensionnelles »3. Il induit l?exclusion sinon les disparités. Cette approche ne fige pas le territoire dans des bornes définitives. Il est en permanence défini par rapport à une extériorité. C?est aussi une construction provisoire. Nous pouvons considérer comme D.Retaillé que les réseaux forment territoire et qu?il peut donc être sans limites. On ne peut donc prendre en compta sa seule dimension politique comme celle présentée par B.Badie qui le définit comme « marque essentiel de l?Etat ». Le territoire est à la conjonction de l?espace où s?exerce une souveraineté, de l?espace social (défini comme l?imbrication des lieux et des rapports sociaux) et de l?espace vécu (issu du rapports entre la représentation d?un réalité spatiale et des pratiques quotidiennes ) III. Mise en ?uvre de la notion de territoire dans le programme Les quatre thèmes du programme opèrent un élargissement des échelles, passant de l?échelle européenne, à l?échelle nationale puis régionale. Cet emboîtement d?espaces impose une définition progressive et multidimensionnel du territoire dont les frontières pourraient être les fils directeurs. Thème I. Le territoire borné par des frontières L?introduction et le thème I sont centrés sur la dimension politique du territoire, dont les frontières bornent les limites externes et organisent les discontinuités internes. L?introduction intègre dans les explications des éléments d?ordre culturel ou idéologique comme « l?identité », chère à la géographie sociale mais aussi des facteurs géographiques plus classiques comme le « peuplement » et les « limites ». La limite définit l?ensemble, les frontières les sous-ensembles. Définie comme espace peuplé et approprié, l?Europe forme un territoire mais sa porosité doit aussi être mise en valeur en croisant les héritages historiques et les enjeux contemporains. La définition territoriale de l?Europe dans cette introduction se rapproche de l?espace perçu, intégrant le patrimoine idéologique des individus. Le thème I « L?Europe des Etats » conforte la définition géopolitique du territoire comme « cadre spatial dans lequel sont établies des communautés humaines matérialisant sa fixation au sol et déterminant ses contours ainsi que les limites de sa souveraineté » (B.Badié). Dans le sous-thème 1, la position, la dimension et la masse démographique inégales des Etats doivent être mises en relation avec leur passé historique. Un changement d?échelle est donc opéré pour définir des territoires plus vastes, ceux des régions européennes dont les limites mettent en valeur celle de leur inégale intégration à l?UE. Un centrage particulier est demandé pour l?Europe médiane dont les frontières sont le résultat de la chute du bloc communiste et des effets de la mondialisation. Depuis 1989, 14000 kms de frontières ont été crées en Europe orientale. Les cas des frontières entre la Serbie et la Hongrie d?une part , de la Slovénie et de l?Autriche d?autre part, permettent de mesurer des gradients de développement très différents ; l?axe Ljubljana-Belgrade ayant été abandonné, cela a renforcé la Hongrie tandis que l?intégration de l?Autriche à l?UE en 1994 sert les intérêts slovènes. A la « frontière-ligne de fracture » dans le premier cas se substitue la « frontière-zone », la « frontière-territoire » (ou interface) dans le second cas. Le deuxième sous-thème opère une mise en relation de ces territoires. Le territoire de l?Union européenne apparaît alors comme un produit du pouvoir. Il est soumis à des tensions liées au débat concernant sa structure politique (fédérale, confédérale?) et son organisation économique (libérale, sociale?), sa dimension culturelle (chrétienne, laïque?). La France est l?une des principales animatrices de ce débat en regard de son poids économique (2ème rang européen) et de sa position géographique (frontières avec les 4 principales puissances de l?UE), de sa légitimité de cofondatrice. Il ne s?agit pas ici de resituer seulement une position de « carrefour » maintes fois présentée et plus nuancée (étant donnée le déplacement du centre de gravité de l?Europe à l?est) mais de montrer comment la France ?uvre dans la définition territoriale de l?UE. Le sous-thème 3 doit permettre de montrer comment l?organisation de ces Etats agit sur leur l?ancrage inégal à l?UE. Plusieurs possibilités s?offrent à nous : Pour le Royaume-Uni , le basculement de son espace sud-est en direction du « système monde » auquel la rattachent l?Eurotunnel, la mer du Nord et la Ranstadt crée des disparités territoriales Pour l?Italie, le renforcement de son espace péri-alpin oblige l?UE à mettre en place des compensations pour ses périphéries (PIM, SDEC..). A une échelle plus grande, nous pouvons, en relation avec l?étude de cas sur les axes transalpins, décrire la déhiérarchisation des centres de la vallée du Pô qui se révèle être un atout aujourd?hui. En Allemagne le polycentrisme de son réseau de villes lui permet d?embrasser la dimension nouvelle de l?UE qui s?élargit à l?est. Thème II. Le territoire organisé par les réseaux Dans ce thème, les territoires sont ceux réalisés par « le quadrillage des réseaux de la communication » (D.Retaillé) et des réseaux de villes. Dans le thème II, nous sommes dans une définition fonctionnelle du territoire qui correspond au système urbain hiérarchisé, s?élargissant avec la croissance des échanges. Le sous-thème 1 mobilise une géographie des réseaux urbains qui met en valeur les disparités de l?espace aux échelles française et européenne. Ces réseaux brouillent les échelles (P.Veltz). Les territoires sont ainsi définis par les mises en réseaux des villes et des systèmes de villes ; la « métropolisation » étant la traduction spatiale de la polarisation opérée par ces réseaux. Les flux augmentent plus vite de pôles à pôles qu?entre les pôles et leur périphérie immédiate. A l?échelle européenne, il serait intéressant de montrer les disparités et le remodelage des réseaux urbains à l?est comme à l?ouest de l?Europe. Le sous-thème 2 doit mettre en valeur l?interdépendance croissante des réseaux de communication de plus en plus complémentaires. Ces réseaux organisent le maillage des territoires et contribuent à leur élargissement comme ce peut être le cas du schéma directeur du réseau TGV qui détermine l?architecture des voies de communication au niveau national et rétrécit les distances tout en profitant inégalement aux métropoles européennes. Ici, les maillages se superposent. L?étude de cas portant sur les axes transalpins pourrait démontrer que l?articulation entre modes de transports (plate-forme multimodale par ex) est aussi importante que les réseaux eux-mêmes. Ces axes organisent en effet le réseau urbain de l?Italie, renforçant son « centre » péri-alpin et marginalisant sa « périphérie » méridionale ; marginalisation que l?UE essaie de compenser. Ce thème doit être l?occasion de réfléchir sur l?impact environnemental des aménagements. L?actualité du tunnel du Mont-Blanc, du St-Gotthard ou du projet de Transalpine pourrait en constituer des exemples et permettre de souligner la position particulière de la Suisse, qui, bien que non membre de l?UE, doit contribuer auprès de celle-ci à l?évitement de son territoire. Le troisième thème impose une étude des migrations aux deux échelles. Les migrations peuvent être comprises comme des réponses aux disparités territoriales. Elles remettent en cause les frontières et contribuent à la polarisation des territoires. Nous pouvons opposer la « viscosité » des populations d?Europe orientale (longtemps figées dans leur territoire national ou local) à la mobilité de l?Europe de l?ouest. A l?échelle nationale, elle renforce la polarisation du territoire. Thème III. Le territoire comme espace aménagé et productif Le thème III revient à une définition plus classique du territoire comme espace peuplé, produit et aménagé. Le sous-thème 1 doit servir une mise en place des grands cadres de l?occupation du territoire en abordant les thèmes des densités, de la mobilité à différentes échelles. L?approche est géographique et moins démographique comme dans l?ancien programme. Le « poids de la population urbaine » doit être spatialisé ; on peut expliquer la tendance à l?étalement, au polycentrisme ainsi qu?à une plus grande spécialisation plus grande des pôles périphériques. L?étude de la ville est centrée sur l?intra-urbain (du centre au rurbain). Pour A.Frémont, le territoire correspond aussi à la grande ville et à sa périphérie rurale. Le sous-thème 2 reprend l?axiome que G.Bertrand a présenté en 19921 et pour qui c?est l?action anthropique qui définit le territoire comme un espace « approprié, exploité, artificialisé et dégradé ». L?environnement est tout autant gisement de ressources « qu?agencement des lieux de passage » ainsi des littoraux ou de l?environnement urbain. Une présentation générale est d?abord mise en place pour déterminer le rôle des milieux dans l?occupation du territoire avant une étude de cas qui rappelle l?approche en seconde. Dans le sous-thème 3 , l?espace économique est organisé par les réseaux de villes et de transport privilégiant l?interconnexion. Il peut être un lieu de production mais aussi de circulation. On peut ainsi démontrer que la mondialisation organise de moins en moins les territoires en mosaïques et davantage de manière réticulaire pour gagner en compétitivité. L?étude doit mettre en valeur des dynamiques comme les stratégies territoriales des entreprises. Les « systèmes productifs sont de plus en plus multilocalisés (?) et alimentent des microdifférences régionales » (P.Veltz). Ce fonctionnement remet en cause l?adéquation entre Etat-nation (donc territoire national) et souveraineté économique ; le « global est présent dans le local et opère un télescopage des échelles ».(P.Veltz) Les « paysages » sont les éléments visibles de ces mutations en même temps qu?ils les organisent. Proposition ; une étude du paysage littoral de Dunkerque complété par des cartes à différentes échelles Le sous-thème 4 ne porte pas forcément sur la politique d?aménagement « du » territoire des contrats de plan Etat-région d?autant plus que la dimension nationale de celui-ci s?érode. Il impose que l?aménagement ne soit plus étudié dans le seul cadre national et intègre le rôle de l?UE. L?aménagement a moins comme objectif l?équité territoriale en « réaffectant » (P.Veltz) que de créer des richesses nouvelles. Thème IV. Les territoires régionaux et leurs disparités Le thème IV rejoint l?idée de territoire comme l?espace support d?une identité collective Pour le sous-thème 1, l?étude de cas est centrée sur le territoire régional et moins sur la régionalisation. L?Ile de France peut être étudiée comme un pôle de développement aux échelles européenne et mondiale. Plusieurs entrées s?offrent à nous pour déterminer comment les exigences de compétitivité organisent le territoire régional en dilatant ses espaces périphériques (parc technologiques, équipements de transport..) jusque dans les régions limitrophes tout en renforçant son hypercentre (La Défense par ex). Son aménagement, pas forcément planifié, est orienté vers le polycentrisme pour décongestionner et doit concilier aujourd?hui son ambition d?Eurorégion et la volonté de l?Etat de ne pas creuser les disparités régionales. L?interrogation sur la notion de région implique donc le dépassement du seul découpage administratif et d?étudier la manière dont l?Ile de France organise ses périphéries dans le bassin parisien. Le sous-thème 2 opère un changement d?échelle puisqu?il s?agit d?appliquer la notion de région au territoire national. L?étude comparative, pour être pertinente, doit prendre en compte la spécificité des découpages régionaux (un Land allemand est un mini-Etat au contraire des régions de programme qui sont des collectivités territoriales co-gouvernées). On étudie la manière dont l?UE réduit les disparités entre les unités territoriales à travers ses « objectifs ». Le fonctionnement des coopérations régionales transfrontalières (concrétisées par un certain nombre d?organismes aux appellations diverses) peuvent être un angle d?attaque pour démontrer que des régions « périphériques » au plan national sont devenues centrales au sein de l?UE (Alsace, Lorraine ou Nord-Pas de Calais) IV. Bibliographie indicative A compléter Ouvrages généraux Bailly Antoine et al, Les concepts de la géographie humaine, Colin, 2001. Charvet Jean-Paul, Sivignon Michel, Géographie humaine, Colin, 2002. Di Meo Guy, Géographie sociale et territoire, Coll Fac, Nathan, 1998. Dollfuss Olivier, La mondialisation, Presses de science-po, 2001. Retaillé Denis, Le monde du géographe, Presses de science-po, 1997. Introduction et thème I Badie Bernard, La fin des territoires, Fayard, 1995. Barrot Jean, Ellisalde Bernard, Roques Georges, Europe, Europes, espaces en recomposition, Vuibert, 3ème édit, 2002. Brunet Roger, Le territoire dans les turbulences, Reclus, 1990. 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