Convention alpine M. LE PRÉSIDENT. – L\'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l\'Assemblée nationale, autorisant l\'approbation des protocoles d\'application de la convention alpine du 7 novembre 1991 dans le domaine de la protection de la nature et de l\'entretien des paysages, de l\'aménagement du territoire et du développement durable, des forêts de montagne, de l\'énergie, du tourisme, de la protection des sols et des transports. M. MUSELIER, secrétaire d\'État. – La volonté de protéger les Alpes, née dans les années cinquante, a abouti en 1988 à une résolution du Parlement européen invitant la Commission à présenter un projet de convention. En 1989, la première conférence alpine des ministres de l\'Environnement des États alpins, à Berchtesgaden, adoptait une résolution de principe. Le 7 novembre 1991, une convention cadre était signée à Salzbourg par l\'Allemagne, l\'Autriche, la France, l\'Italie, le Liechtenstein, et la Suisse, ainsi que par la Communauté européenne. Monaco et la Slovénie y ont adhéré depuis. La convention alpine est entrée en vigueur le 6 mars 1995, la France l\'ayant ratifiée le 26 février 1996. Pour la première fois, l\'espace alpin est délimité à l\'échelle des communes. Le champ d\'application de la convention couvre une surface de 190 912 km carrés et englobe 5 971 communes pour une population d\'environ treize millions. C\'est une « convention-cadre » portant sur la protection des Alpes qui tend à l\'harmonisation des politiques afin de concilier les intérêts économiques en jeu avec les exigences de protection d\'un patrimoine naturel menacé. Les parties ont négocié entre 1994 et 2000 neuf protocoles d\'application – protection de la nature et entretien des paysages, aménagement du territoire et développement durable, tourisme, forêts de montagne, énergie, protection des sols, transports, agriculture de montagne et règlement des différends – afin d\'encadrer l\'action des parties et d\'éviter qu\'un État ne fonde son développement économique sur une politique de « moins- disant » écologique. Toutefois, la France a souhaité adjoindre au protocole transport une déclaration visant à préciser les notions de « trafic transalpin, de trafic intra- alpin et de routes à grand débit », afin d\'apprécier l\'adéquation des projets routiers futurs à l\'article 11.1 du protocole. À ce jour, la France n\'a ratifié que les protocoles relatifs à l\'agriculture de montagne et au règlement des différends. Nous avons tout intérêt à l\'affermissement de cette convention qui intègre les nouvelles exigences environnementales, amplifie les résultats de notre politique volontaire et protège, sur le long terme, le cadre de vie des populations. M. Jacques BLANC, rapporteur de la commission des Affaires étrangères. – La convention alpine est un exemple remarquable et original de coopération internationale, au service du développement durable. Elle définit les principes à mettre en œuvre pour préserver et mettre en valeur l\'espace alpin et crée les structures à même de favoriser l\'échange d\'information, la concertation, l\'harmonisation des politiques nationales et la conduite d\'actions transfrontalières, dans une zone de près de treize millions d\'habitants, répartie sur sept pays. Si le cœur du massif est tourné vers l\'Europe continentale, il ne faut pas négliger son importante dimension méditerranéenne, avec les versants français et italiens des Alpes du Sud et des Alpes slovènes. M. MUSELIER, secrétaire d\'État. – J\'y suis très sensible ! M. Jacques BLANC, rapporteur. – Elle pourrait être un élément d\'une politique d\'euro-méditerranée. Les sept protocoles s\'inscrivent pleinement dans la philosophie générale de la Convention qui vise à harmoniser les intérêts économiques et les exigences écologiques, en considérant le massif alpin dans toutes ses dimensions : espace naturel, cadre de vie, espace économique, voie de communication. Nous sommes ici au cœur du développement durable. Chaque protocole souligne que la population locale doit pouvoir définir son propre projet de développement social, culturel et économique – il ne s\'agit pas de plaquer les modèles imaginés par de pseudo intellectuels ! La coopération transfrontalière et la participation des collectivités territoriales sont des obligations fondamentales et une disposition type stipule que les collectivités locales directement concernées sont parties prenantes à la préparation et à la mise en œuvre des politiques : il ne peut y avoir de politique de développement durable sans association étroite des acteurs locaux : ce n\'est pas l\'affaire d\'une petite élite intellectuelle ! Les protocoles relatifs à la protection de la nature et l\'entretien des paysages et à la protection des sols prévoient le recensement exhaustif des zones ou espèces sensibles et encouragent leur protection, en particulier dans le cadre des parcs nationaux ou régionaux, qui doivent, là encore, associer la population locale. Le protocole sur l\'aménagement du territoire et le développement durable fixe les grandes lignes et met en exercice le renforcement de l\'action des collectivités territoriales. Il reconnaît la légitimité d\'aides spécifiques aux zones de montagne pour compenser les handicaps naturels, maintenir les activités économiques et les services publics. C\'est l\'Europe qui a instauré la première mesure de protection des sols avec l\'indemnité spéciale montagne – hommage lui en soit rendu ! Les protocoles sur l\'exploitation forestière, l\'énergie et le tourisme reconnaissent l\'importance de ces activités. Le protocole sur les transports n\'a été adopté qu\'en octobre 2000 après de longues négociations. Il fallait agir face aux nuisances et à la dégradation de l\'environnement engendrées par l\'accroissement du trafic transalpin en prenant en compte le souhait des populations locales de pouvoir bénéficier d\'infrastructures de qualité, et sans remettre en cause l\'existence même d\'un transit international vital pour certains pays. Ce protocole affirme la priorité à accorder au transport ferroviaire, ce qui légitime le projet de nouvelle ligne Lyon-Turin retenu parmi les grands projets européens, qui s\'imbriquera avec le T.G.V. jusqu\'à Barcelone. Il cite également le transport maritime et le cabotage – autre exemple de la réalité méditerranéenne des Alpes –, le renoncement à tout nouveau projet de route à grand débit pour le trafic de transit international, l\'encadrement des nouveaux projets pour le trafic intra-alpin et l\'introduction progressive d\'une tarification spécifique permettant de facturer à l\'usager l\'ensemble des coûts des infrastructures, y compris les coûts externes. La France effectuera une déclaration interprétative pour tenir compte des projets routiers dont le principe était acquis au moment de la signature du protocole, en octobre 2000, et qu\'il reste à réaliser. Nous disposons déjà de tous les instruments pour mettre en œuvre la convention alpine et ses protocoles, en particulier la loi montagne. L\'adoption de ces textes s\'est échelonnée sur plus de dix ans : il faut désormais, pour donner corps à cette ambition, mieux intégrer les différents objectifs énoncés par les protocoles, qui s\'accordent parfaitement avec les propositions faites il y a trois ans, au Sénat, par la mission d\'information sur l\'avenir de la montagne que je présidais et dont le rapporteur était M. Amoudry. Notre rapport s\'intitulait : « Un développement équilibré dans un environnement préservé » ; c\'est bien ce qui est recherché à travers la mise en place d\'une coopération internationale à l\'échelle du massif alpin. L\'Union européenne étant partie à la Convention, il faudra prendre en compte, dans les politiques européennes, la spécificité de l\'espace alpin comme de l\'ensemble des zones de montagne. J\'espère que le nouvel élan donné à la construction européenne permettra une politique de compensation des handicaps au sein de la politique régionale. Sous réserve de ces observations, la commission des Affaires étrangères vous demande d\'approuver le projet de loi autorisant la ratification des sept protocoles d\'application de la convention alpine, modèle équilibré d\'un développement respectueux du capital naturel que constitue ce merveilleux massif alpin. (« Bravo ! » à droite.) M. DESESSARD. – M. le ministre a exposé l\'intérêt écologique de la convention alpine, mais il y a un hic : le projet de déclaration que le gouvernement veut annexer au protocole « Transports ». Neuf projets d\'infrastructures routières seraient exclus parmi lesquels l\'axe Grenoble-Sisteron. Selon l\'article 11 du protocole, « les parties contractantes s\'abstiennent de construire de nouvelles routes à grand débit pour le trafic transalpin ». Cet article encadre strictement la réalisation de projets routiers à grand débit interalpin et conditionne donc la réalisation de nouvelles infrastructures routières dans les vallées alpines pour des raisons écologiques et environnementales. En excluant l\'axe Grenoble-Sisteron du protocole transport, donc de la convention alpine, vous le faites échapper aux exigences de protection de l\'espace alpin, vous empêchez toute alternative à l\'autoroute. Initialement, trois projets étaient en compétition : l\'aménagement de deux nationales ; l\'aménagement de l\'A51 à l\'est de Gap ; ou un aménagement de l\'A51 par le col de Luz-la- Croix-Haute. Le C.I.A.D.T. du 18 décembre 2003 a retenu la seconde hypothèse, mais elle était compromise par la convention alpine. La déclaration gouvernementale fait le jeu de l\'axe autoroutier, dont les zélateurs minimisent les incidences écologiques dans cet environnement fragile. L\'axe autoroutier Grenoble- Sisteron a une fonction transalpine, établie dans le rapport Brossier de 1998 et renforcée par les travaux réalisés dans les tunnels du Mont-Blanc et du Fréjus. Avec l\'A48 entre Ambérieu et Bourgoin, l\'A51 constituera un axe nord-sud parallèle à l\'axe rhodanien. Elle desservira aussi la haute vallée de la Durance et le col de Montgenèvre, offrant un accès rapide à Turin pour les poids lourds entre la Méditerranée et le nord de l\'Europe. Cela porterait atteinte au projet ferroviaire Lyon-Turin, pourtant prioritaire. Monsieur le Ministre, quelles sont vos intentions ? M. MUSELIER, secrétaire d\'État. – À cette question d\'un élu parisien, je répondrai avec d\'autant plus de précision que je suis un modeste élu de la région Provence-Alpes-Côte d\'Azur. M. DESESSARD. – Même parisien, un sénateur a le téléphone, le courrier électronique et des amis au conseil régional ! M. MUSELIER, secrétaire d\'État. – Le débat n\'est pas nouveau, c\'est un serpent de mer. (Sourires.) La liaison Grenoble-Sisteron, quoique entérinée par tous les gouvernements successifs, est restée systématiquement bloquée, alors que le désenclavement est une nécessité ! Le gouvernement français envisage effectivement de déposer une déclaration précisant la portée de certaines dispositions du protocole transports. Elle confirme les projets décidés par le gouvernement dès 1992 dans le cadre du schéma directeur routier national, excluant du protocole six projets routiers dont l\'axe Grenoble-Sisteron. Les routes nouvelles non expressément visées par la déclaration, relèveront des dispositions du protocole Transports dès lors que leur tracé se situe de façon substantielle dans la zone alpine, à moins que le projet routier en cause vise à permettre le contournement d\'une agglomération ou d\'une conurbation tel que celui prévu pour la région de Nice. La déclaration française précisera que la réalisation de tels projets sont possibles compte tenu des impératifs prévus par le protocole dont celui d\'assurer une meilleure sécurité des transports. Le projet de l\'A51 a été transmis à la Commission nationale du débat public le 4 mai 2004, elle a organisé un débat public le 2 juin suivant, la procédure de consultation court jusqu\'à octobre prochain. Le ministre de l\'Équipement décidera de la suite à donner. La discussion générale est close. L\'article premier est adopté, ainsi que les articles 2, 3, 4, 5, 6 et 7. M. DESESSARD. – Monsieur le Ministre, il n\'est pas sérieux de dire qu\'un sénateur parisien ne pourrait se prononcer sur l\'ensemble du territoire ! Vous ne m\'avez pas répondu. Vous dites, avec le rapporteur, qu\'il faut désenclaver tout en respectant l\'environnement. Certes, mais tout est dans la proportion : qui l\'emportera, du désenclavement ou du respect de l\'environnement ? L\'axe autoroutier Grenoble-Sisteron met à mal la liaison ferroviaire, il accroît le trafic de poids lourds dans les Alpes, ce n\'est guère respectueux du massif ! Le chemin de fer, lui, est plus respectueux de l\'environnement ! M. MUSELIER, secrétaire d\'État. – Je ne doute pas que vous connaissiez les Alpes, mais comme adjoint au maire de Marseille, je connais les problèmes quotidiens de notre région, bénie des dieux. Les Hautes-Alpes sont le département le moins peuplé de France, il faut cinq heures pour relier Marseille à Briançon en voiture, les liaisons ferroviaires n\'ont pas été développées. Sur l\'axe Nord-Sud, soit on encombre davantage le sillon rhodanien, soit on trouve des solutions à l\'est, c\'est ce que nous proposons : les embouteillages routiers quotidiens, ça pollue aussi ! Le choix n\'est pas entre le tout-écologie et le tout- voiture. Nous sommes, autant que vous, attachés à la préservation de l\'environnement ! L\'ensemble du projet de loi est adopté. M. Desessard s\'abstenant.